Conversations sur l'Art de Communiquer par la Parole

 

 

Conversations sur l’Art de communiquer par la Parole
à travers différentes approches artistiques

Rencontres bi- mensuelles

 

à l’Atelier du Verbe
17 rue Gassendi Paris 14e
(M° Denfert-Rochereau l.l4 et l.6 ou M° Gaité l.13)

 

 

Programme 1ere séance

 

en mars 2021

 

 

"D’où cela vient quand je parle ? " 
 
Dans la première partie de la séance
les participants seront invités à dire une phrase simple
sur laquelle nous nous interrogerons ensemble
au sujet de l’intention (au départ non verbale)
qui a créé cette « traduction » avec des mots.

Pour visualiser le plus concrètement possible
le passage du non verbal au verbal
nous pourrons mimer gestuellement
ce qui a cherché à s’exprimer dans cette phrase.
 
Et de phrase en phrase nous pourrons découvrir

4 sources principales motivant le langage :
            

                      Décrire ce que l’on perçoit de la réalité extérieure
                                        (avec nos organes des sens)


                      Exprimer ce que l’on ressent à l’intérieur de soi
                                  (relié au cœur et à la respiration)

                                             Déclarer une intention
                  (en vue d’une action qui mobilisera nos membres)


      Communiquer avec les autres pour partager ce que nous comprenons
                                                 (avec notre raison)

 
En deuxième partie de cette séance
nous nous interrogerons sur :
les différences entre une conversation au téléphone, un échange par sms,

face book, une visio-conférence et une rencontre « en présentiel ».

 

 

 

 

   Contexte et raison d'être  de la création de cet Atelier          
               

1/      Le contexte de notre actualité inédite
 

 

L’année 2019 nous avait introduits à des événements
uniques en leur genre, avec le mouvement des gilets jaunes,
les manifestations de lycéens,
la multiplication des actions citoyennes
pour constituer des listes municipales
indépendantes des partis politiques.

Aussi originaux dans leur diversité,
ces mouvements témoignaient de prises de conscience inédites
dans la manière d’inventer des modes d’expression
émanant directement des citoyens.

D’autres événements mondiaux dans la même période
avaient en commun la remise en question
des gouvernances autoritaires, asservis aux lobbies financiers,
incapables de prendre les mesures adéquates
face au dérèglement climatique
et l’aggravation des inégalités sociales.

L’année 2020, avec cette apparition de la pandémie,
a provoqué à son tour du jour au lendemain
un arrêt général de toute la vie économique mondiale,
dans une étrange continuité
avec ces révoltes de 2019 contre l’ordre établi .
Les mesures de confinement ont de fait
éteint dans l’œuf les initiatives qui se préparaient
dans ces nouveaux foyers de résistance.

Mais après une première période de sidération,
les appels à la mobilisation
pour « empêcher tout retour à l’Anormal »
se sont multipliés
.

 

2/      2021 : tout changer à la base

 
L’urgence à la base est celle d’un changement de paradigme :
est-ce le pouvoir de la technique et de la finance
qui vont continuer de gouverner le monde ?
Ou bien la prise en compte des capacités de chacun,
la mise en place de lieux de concertations
où vont se décider en commun toutes les mesures à prendre
concernant l’économie, la vie culturelle, l’école, la médecine, l’agriculture, le commerce, la vie politique.

3/      Commencer par la culture
 
Le fait de devoir tout revoir dans notre fonctionnement sociétal,
en s’interrogeant sur les valeurs
qui doivent présider à ces changements,
cela demande précisément de commencer par la culture :
celle qui est enseignée à l’école, celle des livres, du cinéma,
du théâtre, des journaux, de la télé, des affiches publicitaires,
des discours des hommes politiques.
Et se demander : quelle conception de l’homme
est entretenue par la culture la plus largement diffusée,
favorisant la pérennité du système sociétal qui en découle ?

Apprendre à dialoguer pour pouvoir décider ensemble.

Cette remise en question des valeurs
qui président à tout notre fonctionnement,
pour qu’elle ne soit pas « l’affaire des spécialistes »,
passe nécessairement par la concertation à plusieurs
et l’apprentissage de l’attention à l’autre,
comme cela était justement en train de prendre forme
avec les gilets jaunes, lorsqu’ils ont créé
les Assemblées des assemblées, où se rencontraient
des délégations de toute la France pour réfléchir ensemble
à un programme de mesures à prendre.
Les vidéos de leurs réunions témoignent
de la façon dont ils s’écoutent les uns les autres
dans la façon de partager la parole.

4/      Les causes de la dégradation de la qualité de la parole
 
La question de la dégradation de la qualité de la parole
fait justement partie de nos problématiques actuelles.

La première cause
vient de la dévalorisation de ce mode de communication,
au profit des sms et autres likes sur face book.
Le résultat de cette dégénérescence du parler
se montre dans le débit accéléré (et en premier lieu,

chez les jeunes !)
où l’on ne distingue qu’une syllabe sur deux dans la phrase.
En fait, cette accélération vient de ce que
l’intention du discours prime sur la façon de le dire.
Et cette projection dans le résultat escompté fait que
l’on ne prête pas attention à la progression des phrases
et la manière dont elles éveillent la compréhension de l’autre
.
La parole « pétarade »
à la vitesse avec laquelle on écrit les sms dans le métro.

Les conversations deviennent donc davantage
des échanges d’informations, des projections,
plutôt qu’un partage
dans lequel s’éveillent des émotions,
des compréhensions nouvelles de nos personnalités respectives.

5/      Réhabiliter le trésor de la parole dans  l’enseignement
 
Pour réhabiliter ce trésor de la parole en tant que tel,
auquel l’enfant s’initie très progressivement,
allant de découvertes en découvertes,
il faudrait d’une part l’intégrer dans les programmes scolaires,
dans des récitations de poésies, des cours de théâtre,
et aussi des cours de conversation
pour apprendre à alterner la parole et l’écoute.

Il faudrait également intégrer dans les programmes
toutes les formes d’art
à propos desquelles les jeunes puissent s’exercer
à exprimer ce qu’ils ressentent :
devant un tableau, une danse, un morceau de musique,
de sorte que le langage puisse dévoiler
la multiplicité de ses formes d’expression,
en rendant audible, compréhensible
ce que le corps exprime dans ses gestes,
ce que l’âme exprime dans ses émotions.

L’enseignement actuel
va dans le sens contraire de cet apprentissage,
étant avant tout une sorte de « bourrage de crâne »
avec surtout des contenus informatifs
à mémoriser pour apprendre des techniques utilitaires.

Cela fait que pour les jeunes,
l’entrée dans la vie d’adulte
n’aura pas du tout été préparée
à une vie relationnelle avec les autres.

6/       Et dans la vie culturelle
 
Ce que l’on appelle les loisirs,
au lieu d’être de simples « passe-temps »
devraient contenir une vraie nourriture régénérante
en nous faisant voyager

à travers divers modes d’expressions artistiques.

Toute activité artistique est en elle-même
une parole sur le monde, un mode d’expression
dans lequel la réalité de la vie quotidienne
est transposée dans une dimension symbolique, idéalisée,
qui permet d’avoir du recul sur nos visions trop terre à terre,
en nous faisant percevoir le sens profond, la beauté cachée.

Et ces expériences artistiques justement libèrent la parole,
la font partir de plus loin
que depuis nos références utilitaires du quotidien.
Cette parole, pour remplir
sa mission d’expression de soi
dans la résonance de l’expression de l’autre
,
doit être cultivée hors des circuits artificiels
du langage informatisé, téléphoné, télévisé.

                                

                12 Thématiques

 

1/ A quoi sert le langage ?

 

Mettre des mots sur des réalités factuelles, des sensations, des impressions, des intuitions :

 

Décrire ce que l’on perçoit (avec nos organes des sens)

 

Exprimer ce que l’on ressent (venant du cœur, activé par le rythme de la respiration)

 

Déclarer une intention (en vue d’une action)

 

Communiquer avec les autres pour partager nos pensées issues de ces diverses expériences.

 

Particularité du langage écrit (avec le style de l’écriture unique pour chacun)

 

et du langage parlé (avec les intonations toutes particulières de la voix de chacun)

 

Différences entre une pièce de théâtre lue et une pièce à laquelle on assiste en vrai,

 

entre une visio-conférence et une rencontre en vrai.

 

En quoi les technologies jouent un double rôle :

 

en multipliant les formes de communication, tout en les réduisant à un contenu informatif.

 

 

2/ Comment reconnait-on l’authenticité d’une affirmation ?

 

Objectivité et subjectivité du langage ?

 

L’objectivité est-elle seulement extérieure à soi ?

 

D’où vient la subjectivité qui ne serait pas partageable ? peut-elle être surmontée ?

 

Comment ? Par quelles prises de conscience ?

 

D’où vient le formatage de nos opinions ?

 

Comment reconnaître les symptômes des « formatages » dans nos pensées, nos paroles.

 

En quoi pourrais-je être influencé(e) par un matraquage médiatique plus ou moins insidieux ?

 

Quelle est l’intention des producteurs de cette information ?

Celle d’empêcher qu’elle soit remise en question ?

Prendre le pouvoir en « endormant » les auditeurs de sorte

que ce public ne fera ensuite que répéter ce qu’il a entendu ?

 

Comment se rendre compte soi-même de cet emprisonnement ?

 

Faire une liste de pensées formatées.

 

En s’inspirant pour commencer de celles que nous venons de subir.

 

exemple : « complotistes », une expression qui voudrait stigmatiser le camp adverse

 

et qui pourrait tout aussi bien s’appliquer à celui qui accuse.

 

autre exemple : « distanciation sociale » pour dénommer « distanciation physique » 

 

Que valent les chiffres des statistiques qui est devenu un langage en soi ?

 

Avec quels critères estimer pour soi-même et pour celui que nous écoutons

 

la validité, l’authenticité d’un jugement, d’une opinion, d’un ressenti ?

 

Pour exprimer quelque chose « venant du fond de notre cœur » :

 

prendre le temps de se plonger dans toute la panoplie de nos expériences pas encore verbalisées

 

pour les ajuster à des formes d’expression qui s’inventent au fur et à mesure de cette recherche.

 

Alors les mots qui sortent sont vécus comme « sortant du cœur ».

 

Et c’est ainsi que nous avons besoin d’entendre un comédien pour croire à ce qu’il dit

 

même s’il en est à sa cinquantième représentation.

 

Les noms sont-ils de simples étiquettes ou bien expriment-ils par eux-mêmes

 

dans leurs sonorités, et donc par la façon dont ils sont prononcés,

 

la nature de ce qu’ils désignent ?

 

Dire son nom trop vite, nous écarte de la nature de la chose.

 

 

3/ Que faut-il pour que ma parole puisse toucher mon interlocuteur ?

 

Que je tienne compte de ses préoccupations, de ce qu’il a envie de savoir

 

Que je le regarde dans les yeux pendant que je lui parle

 

Que je ressente moi-même ce dont je parle, pour qu’il puisse le ressentir à son tour

 

Pour cela il me faut ressentir les sonorités des mots que j’emploie pendant que je les prononce

 

 

4/ Les expressions du génie de la langue

 

Se rendre compte de leur profondeur et vivre les images qui y sont contenues

 

 

5/ Est-ce que les animaux ont un langage ?

 

On peut voir ce qu’ils sentent ou ce qu’ils veulent dans leurs expressions corporelles :

 

Remuer la queue, les oreilles, lever la patte, émettre des sons longs ou saccadés

 

 

6/ Quelle est la différence avec notre langage ?

 

Il n’y a pas de mots, de phrases

 

Ils n’expriment pas ce qu’ils pensent mais ce qu’ils sentent

 

 

7/ Est-ce que nous aussi nous nous exprimons avec le corps ?

 

Avec les mains, les bras, les expressions du visage

 

 

8/ Qu’est-ce qui pourrait s’ajouter à ces sortes d’expressions par le corps ?

 

Tout est possible avec ce que montrent la danse, la gymnastique, l’art des clowns.

 

 

9/ Le corps est donc lui-même un « acteur du langage » ?

 

C’est ce qu’il s’agit justement de découvrir plus consciemment aujourd’hui

 

Réanimer la vie dans la parole veut dire la faire descendre dans le corps entier

 

 

10/ La faire descendre car sinon elle reste enfermée en haut ?

 

Oui, enfermée dans la tête si l’on ne fait que donner une pensée abstraite

 

Mais elle peut aussi être « enfermée » dans le cœur si l’on ne fait que s’épancher

 

Et elle peut aussi être enfermée « en bas » dans l’expression d’un désir violent

 

 

11/ Il faudrait donc la faire voyager entre les trois pour qu’elle soit vivante ?

 

Oui, être attentif à ce qui va en haut, en bas et au milieu, pendant que l’on s’exprime

 

Et modeler la façon de s’exprimer en fonction de la réceptivité de mon interlocuteur

 

 

12/ Accompagner la parole par une gestuelle pour déceler les intentions ?

 

Une forme d’expression du langage par le corps a justement été inventée pour cela

 

Il s’agit de l’eurythmie qui traduit chaque sonorité des voyelles et des consonnes

 

en des gestes qui nous font vivre visuellement ce que les sons expriment.

 

Cela s’applique aussi au langage musical où le corps tout entier devient son interprète.

 

 

 

 

 

Le Verbe dans tous ses états

 

Au théâtre, dans la danse, la peinture et la sculpture

 

 

 « Sur la table du théâtre, le langage prend corps.

 

Nous y voyons les forces de la parole agir l’espace

 

   comme si elles étaient les forces-même de la nature.

 

  Nous observons sur scène le verbe faire apparaître les choses »  Valère Novarina

 

 

« Car le mot, qu’on le sache, c’est un être »  Victor Hugo

 

 

De la réalité des mots

 

La qualité de la parole sur les scènes de théâtre ne fait généralement pas partie des critères mis en avant pour juger de la valeur d’un spectacle. Et cette insensibilité au sujet de la façon de dire, de prononcer les mots, de moduler les phrases concerne tout autant les  propos de la vie courante, ainsi que les discours qui nous sont infligés par les normes d’élocution des journaux télévisés. Le langage est implicitement considéré comme simple donneur d’informations ne s’adressant qu’à l’intellect, n’ayant donc pas d’enjeu en soi dans la façon dont il nous touche,  ni dans son lien avec les réalités qui sont évoquées.

 

Le langage ne serait-il qu’un code arbitraire ?  Cette question au sujet  de la réalité ou de l’abstraction des mots  se relie directement à la controverse des scolastiques au Moyen-âge entre « les nominalistes et les réalistes ». Pour  les  nominalistes  les mots étaient uniquement des conventions,

 

            des constructions mentales sans rapport de nature  avec les objets qu’ils désignent. Quant aux réalistes, ils affirmaient que les concepts, avec les mots qu’ils emploient n’ont rien d’aléatoire, étant en eux-mêmes une émanation du réel. Si l’on a oublié cette controverse et les deux conceptions qui s’affrontaient, c’est peut-être bien parce que l’une des deux a été si totalement victorieuse qu’elle est devenue l’unique référence. C’est ce que pense Jorge Luis Borges : « La victoire du nominalisme, jadis invention de quelques-uns, est aujourd’hui si vaste et si fondamentale que son nom est devenu inutile. Personne ne se déclare nominaliste parce que personne n'est autre chose. "

 

            Si dans la vie courante nous adoptons implicitement cette opinion selon laquelle le langage ne serait qu’un code, nous vivons pourtant maintes situations dans lesquelles nous cherchons des mots aptes à  faire comprendre autant qu’à  faire éprouver. Et le théâtre a précisément cette mission de nous montrer ce double pouvoir des mots. Mais il n’en fait pas systématiquement la démonstration, loin s’en faut, à cause de la prégnance de cette conception nominaliste implicite, faisant du texte le parent pauvre dans le jeu du comédien, puisqu’il ne serait qu’un signifiant intellectuel surajouté comme un sous-titre.

 

Si les mots ont en eux-mêmes le pouvoir de faire advenir le réel, le comédien doit donc se faire avant tout source de la parole, se fondre en elle et la projeter hors de lui à travers l’espace scénique, dans tout le registre des sonorités, des articulations, des rythmes, des césures, des intonations, des hauteurs de sons. Il faut que nous puissions observer pendant que la parole se déploie dans ce flux sonore comment le Verbe fait « apparaître les choses », pour reprendre l’expression de Valère Novarina citée en exergue. C’est ainsi que pour sauver le langage de son abstraction nominaliste, le théâtre devrait montrer l’exemple de sa réalité vivante, de son pouvoir de faire advenir le réel.

 

L’eurythmie

 

Une danse qui  exprime la  parole et  la  musique  par  les  mouvements  du  corps

 

L'eurythmie transpose les mouvements imprimés dans l’air par les sonorités en gestes corporels visibles et expressifs. Ces gestes expriment par exemple le caractère sculptural des consonnes et montrent en polarité comment les voyelles résonnent en exprimant des ambiances, des sentiments particuliers. Tous les aspects de la musique, hauteur des sons, rythmes, modes, intervalles, sont également reproduits dans « l’alphabet eurythmique » et chorégraphiés dans des couleurs, des qualités de lumières liées aux ambiances sonores musicales ou au sens des paroles récitées. Cet art nouveau, né au début du 20ème siècle voulait élargir le champ de conscience de notre  réception des sons en réunissant l’ouïe, la vue, le sens du mouvement, le sens de l’équilibre, afin de redonner au langage et à la musique toute la vie qu’ils contiennent. Cet art gagnerait à  être mieux connu et pratiqué, en notre siècle de l’informatique où le langage a continué de dégénérer, de perdre sa vitalité concrète, sa  force de communication.